De nombreux textes en planification de retraite font référence à ce qu'ils appellent la « fameuse » règle de 70 % du revenu brut avant la retraite comme base pour établir le montant du coût de vie avant impôt nécessaire durant la retraite. Il y est souvent souligné que les experts recommandent d'utiliser ces règles, alors qu'au contraire, les textes mieux étoffés affirment qu'elle comporte bon nombre de faiblesses. Même le site Web de la Régie des rentes du Québec propose malheureusement l'utilisation de cette règle. En fait, ce ratio de 70 % du revenu avant impôt n'est basé sur rien de concret, et il a depuis longtemps été réfuté. Il en est de même d'ailleurs de n'importe quel autre ratio, qu'il soit de 60 % ou de 80 %. Toute l'approche est erronée.
LES FAIBLESSES DE LA METHODE
Considérons les deux situations extrêmes suivantes :
Une célibataire de 50 ans, sans enfant, qui gagne 100 000 $, et dont les parents lui ont indiqué qu'elle hériterait d'une somme importante à leur décès.
Une autre personne qui gagne aussi 100 000 $ mais qui a 4 enfants en bas âge, un conjoint qui ne travaille pas (parce qu’il a trop d'ouvrage, comme disait Yvon Deschamps), un des enfants est handicapé et en plus, belle-maman vit à la maison, car elle a des difficultés financières. Il y a en plus le chien Milou, le minou Grisous, deux tortues et un hamster.
Même si l'exemple ci-dessus clôt déjà le débat, soulignons plusieurs facteurs d'importance qui confirment l'impertinence de cette règle :
La règle de 70 % omet les valeurs et les objectifs des gens. Quelqu'un peut gagner 200 000 $ mais n'en dépenser que 40 000 $ (ce cas n'est pas théorique, nous avons un client dans cette situation). Dans son cas, il prendra simplement sa retraite plus tôt, et son coût de vie à la retraite n'aura aucun lien avec la règle de 70 %. Sans aller à cet extrême, nous avons souvent des clients disposés à réduire sensiblement leur train de vie à la retraite par rapport à ce qui se passe préalablement.
Le train de vie change avec le temps. Souvent les clients ne souhaitent pas le même train de vie à 60 ou à 85 ans (même en considérant les coûts liés à la santé). La planification de la retraite doit en tenir compte et la règle de 70 % n'a plus aucune utilité.
La règle de 70 % omet l'âge prévu de la retraite, selon lequel le revenu peut varier énormément. Une personne qui souhaite prendre une retraite précoce pourra se contenter de moins, et inversement pour celle qui est plus patiente. Avec le coût de vie, l'âge de la retraite est le facteur le plus important dans une planification de retraite.
Lorsque les revenus sont bas (ou très bas) le taux de remplacement est parfois nettement supérieur à 70 % (que ce soit avant ou après impôt) en raison des rentes de base et de l'âge de la retraite. À ces niveaux, il n'est pas vraiment possible de réduire davantage le coût de vie. Il est ridicule de penser qu'une personne dont le revenu avant impôt est de 20 000 $ durant la période active pourra se contenter de 14 000 $ à la retraite. Ce n'est là qu'une application simpliste d'une règle déjà sans fondement!
Pour un client relativement jeune dont la situation financière changera sensiblement au cours des prochaines années, il est illogique d'utiliser un ratio basé sur des revenus qui seront sans pertinence d'ici quelques années. La règle est donc encore moins applicable pour les jeunes.
Bon nombre de personnes comptent continuer de travailler durant un certain temps durant leur retraite. Ces revenus modifient sensiblement les calculs. L'épargne cessera peut-être durant ces années, mais les retraits du patrimoine resteront peu élevés ou nuls durant ces premières années de retraite. Les revenus officiels seront donc plus élevés durant les premières années et plus faibles par la suite. La règle ne tient plus.
La situation d'un couple et celle d'un célibataire ne sont pas les mêmes. Lorsqu'un membre du couple gagne 75 000 $ et l'autre 30 000 $, quel montant doit-on considérer? Le total des deux? Comment tenir compte de l’impôt? Si le deuxième conjoint n'a aucun revenu, le couple aura quand même droit à la retraite à deux crédits personnels et deux crédits en raison d'âge dans la déclaration d'impôt du conjoint qui gagne des revenus, ce qui fausse le ratio de 70 % par rapport à celui d'un célibataire car il pourrait être question d'un même revenu avant impôt. Le fractionnement du revenu à la retraite pourrait aussi faire fausser le ratio de 70 % pour un même revenu avant impôt. Plusieurs autres aspects distinguent un couple d'un célibataire en ce qui a trait à la planification de la retraite, en particulier en ce qui a trait au partage des coûts fixes (résidence, voiture, ameublement, etc.). Bref, la règle du 70 % ne peut s'appliquer de la même manière à un couple par rapport à un célibataire.
La règle omet complètement tout le capital détenu par le retraité. La règle tient pour acquis que le coût de vie dépendra des revenus à 100 %. À la retraite, il n'est pas forcément question de revenus. Il est possible d'avoir un train de vie de 60 000 $ et des revenus « officiels » de 40 000 $ seulement. Si le client détient un chalet, un CÉLI, une terre à bois, une voiture de trop, des œuvres d'art, des outils, des placements non enregistrés, il pourra effriter ce capital et vivre sur ces sommes qui ne seront jamais des revenus et encore moins des revenus imposables. À cela s'ajoutera peut-être un éventuel héritage qui s'additionnera au patrimoine et qui sera exempt d'impôt, car il ne s'agit pas d'un revenu. Il en est de même pour une police d'assurance vie du conjoint ou la valeur de rachat de cette police. Il n'y a aucun lien entre les revenus (et encore moins les revenus imposables) et le train de vie qu'on veut préserver à la retraite. Voir la section 3 sur ce sujet plus loin dans le texte.
Il est complètement absurde d'utiliser des chiffres avant impôt. Le train de vie ne sera pas différent selon que l'on paie plus ou moins d'impôt durant une année. Le but est de générer un coût de vie souhaité au fil des années, et l'impôt constitue entièrement un autre facteur à gérer dans la planification. Nous en traitons plus en détail ci-dessous dans la section 2 La fiscalité.
En fait, toute l'approche est fondamentalement erronée. Elle est conçue pour trouver une règle simple à une problématique trop complexe pour être réduite à un seul chiffre.
2. LA FISCALITE
Nous savons tous que la fiscalité est complexe. Une planification de retraite effectuée à l'aide d'un chiffre « avant impôt » est donc une mission impossible. À cela s'ajoute une pléiade de programmes gouvernementaux qui sont soit imposables, soit non imposables et qui dépendent de diverses variables.
Voici quelques aspects simples démontrant qu'il est impossible de travailler « avant impôt » :
La vente d'un chalet permet d'encaisser des sous, mais souvent, il n'y aura pas (ou peu) de revenus et d'impôt. Comment utiliser la règle de 70 % lorsqu'une vente est prévue durant la retraite?
L'encaissement d'une somme tirée du CÉLI n'est pas imposable. Pourtant elle pourra servir pour le coût de vie à la retraite. Comment en tenir compte avec ce ratio? Impossible!
Il est souvent préférable pour un client de demander la rente de retraite de la Régie des Rentes du Québec plus tard, par exemple et d'attendre à 67 ans au lieu de 60 ans? Est-ce que cela signifie que le client devra dépenser moins à 60 ans et plus à 67 ans? En réalité, pas du tout. À 60 ans, il devra simplement utiliser des ressources différentes de son patri-moine afin de stabiliser le coût de vie au niveau souhaité. Il paiera peut-être plus d'impôt à 67 ans et moins à 60 mais le coût de vie n'est pas modifié. Voir aussi la section 5 Autres facteurs à la fin du texte qui traite rapidement du lien entre la date de la demande de la rente et le début de la retraite.
Les retraits du REÉR deviennent parfois plus élevés à partir de 72 ans et il faut prévoir plus d'impôt. Est-ce que le coût de vie va changer pour autant? Probablement pas. C'est juste la ponction fiscale qui sera différente. Le client ne mangera pas plus sous prétexte que le revenu officiel est plus élevé et pas moins en raison des impôts plus élevés.
Le ratio tient pour acquis que les retraités ont des revenus stables, imposés à 100 %. Cela s'applique aux salaires, aux revenus nets de loyer, aux rentes et aux revenus d’intérêts. Toutefois, d'autres formes de revenu font l'objet d'un traitement fiscal différent : le gain en capital est imposable à 50 % seulement, et les revenus de dividende ont un traitement particulier (majoration, puis crédit d'impôt). D'autres revenus ne sont pas imposables du tout (SRG, crédit d'impôt pour solidarité ou crédit pour la TPS/TVQ, etc.). La stabilité des revenus officiels est simplement théorique et impossible, car le client pourrait, par exemple, travailler durant certaines années, ou l'âge de 72 ans impliquera probablement un revenu imposable plus élevé en raison du retrait obligatoire des FERR. Il faut aussi tenir compte du fait que plusieurs encaissements ne sont pas des revenus (par exemple un retrait d'un CÉLI).
Le taux d'impôt varie dans le temps et selon le niveau des revenus. Il est impossible d'utiliser un taux stable. En outre, les mesures de fractionnement du revenu de retraite entre conjoints compliquent encore plus les choses.
Techniquement, l'encaissement d'un dividende d'une société publique implique des complexités qui rendent la règle de 70 % inopérante. Un dividende de 100 $ devra être majoré de 38 %, donnant lieu à un montant imposable de 138 $, auquel un crédit d'impôt sera appliqué lors du calcul de l'impôt. L'encaissement de 100 $ fait donc l'objet d'un revenu imposable de 138 $. Il ne faut pas utiliser le taux d'impôt standard du client, car un crédit d'impôt doit être appliqué plus tard. La règle de 70 % ne sait plus où donner de la tête !
Plusieurs retraités ont accumulé des sommes dans une société de gestion. Il peut s'agir de professionnels incorporés ou de petits ou de gros entrepreneurs. Pour eux, il est difficile d'établir le revenu avant impôt avant la retraite et, par conséquent, plus difficile encore d'établir le revenu à la retraite basé sur le revenu avant la retraite. Souvent, leur mode de rémunération était sous forme de dividende dont le traitement est bien différent du salaire. La règle de 70 % est inopérante dans ce contexte.
o Pour sortir des sommes de ces sociétés, les moyens sont nombreux et le ratio de 70 % ne peut en tenir compte. En effet, la portion imposable et non imposable prendra diverses formes et divers mécanismes fiscaux seront appliqués (dividendes, impôt en main remboursable au titre de dividende, compte de dividende en capital, présence de fiducie entre vifs ou testamentaire, etc.).
En somme, il est maladroit et voué à l'échec de tenter d'établir un coût de vie futur avant impôt, même pour des cas simples, et plus encore dès qu'il est question de certaines particularités dans la situation du client. 7
3. COMMENT ETABLIR LE COUT DE VIE PREVU?
Comment faire alors pour établir le coût de vie souhaité à la retraite? Rien ne remplace l'huile de coude, et la vraie question qu'il faut se poser est celle-ci : À la retraite, quel est le train de vie que je veux préserver selon mes valeurs, ma santé, mon goût pour le travail, mes obligations familiales, etc.? Il faut manier des chiffres.
Rien de compliqué : il faut faire des additions et des soustractions. À l'aide d'une liste, d'un fichier Excel ou d'un bon logiciel, il faut examiner tous les postes de dépenses et se poser la question : si j'étais à la retraite demain (souvent sans enfant et sans prêt hypothécaire), quel montant aimerais-je pouvoir consacrer à chacun de ces postes. Quel coût de vie aimerais-je préserver? Bien sûr, une dose de réalisme est requise. En outre, il faut réfléchir en « dollars d'aujourd'hui », et le spécialiste établira des calculs plus précis tenant compte de l'inflation.
Une fois le coût de vie préliminaire établi, des calculs précis (à l'aide d'un logiciel tenant compte de toutes les nuances) indiqueront si le montant établi est réaliste compte tenu de la situation du client, notamment son plan d’épargne et l'âge souhaité de la retraite. Sinon, il faut refaire ses devoirs et voir où il faut couper dans le coût de vie, établir un plan d'épargne plus substantiel ou changer l'âge de la retraite. En fait l'établissement du coût de vie est très simple au niveau conceptuel. Il suffit d'y consacrer quelques heures (vraiment pas plus), et arrêter de rêver en croyant qu'un ratio simpliste peut faire le travail à notre place. Ce travail sera aussi très utile pour la gestion courante du coût de vie actuel.
Souvent quelques notions s'entremêlent et sont confondues par le public et les conseillers. En fait, il faut distinguer six notions simples en soi : le coût de vie, le décaissement, l'encaissement, le revenu, le revenu imposable et le taux de rendement.
Coût de vie : comme indiqué ci-dessus, il s'agit des sommes à prévoir pour la vie de tous les jours. Ce sont donc des sommes qui sortent du compte de banque si on peut dire. Le mot « dépense » peut aussi convenir.
Décaissements (ou déboursés ou sorties de fonds) : il s'agit de tous les montants qui sorte du compte de banque. Le coût de vie fait partie des décaissements, mais tous les décaissements ne font pas forcément partie du coût de vie. Par exemple, le paiement des impôts et les placements que l'on fait sont des sorties de fonds, mais ne constituent pas un élément du coût de vie.
Encaissements : ce sont les sommes qui entrent dans le compte de banque. Il peut donc être question de revenu de pension, de la vente d’un chalet ou d'une voiture, d'un retrait de CÉLI ou de REÉR, des revenus de placements (intérêts, dividendes, loyers, gains en capital) ou de la vente du placement lui-même, de l’encaissement d'un héritage, de la vente d'une entreprise, etc. Les sommes qui entrent ne sont pas forcément des revenus en soi (et encore moins des revenus imposables).
Revenus : ce sont des sommes gagnées qui entrent dans le patrimoine résultant d'un travail (salaire ou revenu d'entreprise), d'un revenu de pension (rente de retraite) ou d'un placement (valeurs mobilières ou actif immobilier : intérêts, dividendes, loyers, gains en capital). Un revenu est souvent lié à un encaissement mais pas forcément (par exemple, il est possible d'accumuler du gain en capital sur un placement sans le vendre immédiatement).
Revenus imposables (ou revenus avant impôt) : comme l'indique la section de fiscalité ci-dessus, plusieurs montants encaissés ne sont pas imposables, et même parmi les revenus gagnés figurant au paragraphe précédent, plusieurs ne sont pas imposables à 100 % (gain en capital et dividende en particulier). Le revenu imposable est probablement le montant le moins lié au coût de vie. Il est possible d'avoir un revenu imposable de 40 000 $ et un coût de vie de 60 000 $. Le revenu imposable n'a aucun lien non plus avec le patrimoine. Il est donc possible d'avoir un revenu imposable personnel de 40 000 $ et de disposer de 50 millions de dollars dans une société de gestion.
Taux de rendement sur les placements : souvent les clients se basent sur le taux de rendement prévu sur leur placement pour établir le coût de vie qu'ils peuvent se permettre (j'ai 1 M $ à 4 %, donc je peux dépenser 40 000 $ par année). Ce raisonnement comporte plusieurs faiblesses :
o Il présume que le capital ne sera jamais effrité. Sauf pour les gens fortunés, pour ceux qui souhaitent absolument léguer une somme à leur décès et pour ceux qui souhaitent un faible coût de vie à la retraite, la planification de la retraite doit prévoir que le capital diminuera régulièrement au fil des années et, par prudence, en fonction d'un âge de décès tardif. Le taux de rendement ne donne donc pas une bonne idée du coût de vie que l'on peut se permettre. Bien sûr, ce facteur sera important dans les calculs de la planification de la retraite, mais il ne suffit pas à lui seul.
o Le taux de rendement n'est pas égal d'une année à l'autre, même pour ceux qui ont un portefeuille prudent. Le coût de vie ne peut donc pas varier au rythme des aléas du taux de rendement. Il faut manger même si le rendement d'une année est négatif!
Considérons un placement dont le coût a été de 8 000 $ et qui est vendu 10 000 $. Le décaissement a été de 8 000 $, l'encaissement est de 10 000 $, le revenu de 2 000 $, le revenu imposable de 1 000 $ et le taux de rendement de 25 %. Il s'agit de différentes notions importantes mais elles n'ont pas de lien avec le coût de vie annuel en soi. Le montant qui sera dépensé durant l'année est différent des montants indiqués ci-dessus. Le coût de vie est une autre notion. Cela est encore plus évident lorsqu'il est question d'une perte sur un placement. Si le coût du placement avait été de 11 000 $, il y aurait quand même eu un encaissement de 10 000 $, mais une perte de 1 000 $ (et 500 $ de perte en capital déductible). Nous constatons ici de façon plus évidente l'absurdité de la règle de 70 % du revenu avant impôt. Même s'il n'y a ici aucun revenu, il y a pourtant 10 000 $ en banque!
Ces six notions complètement différentes sont pourtant omniprésentes dans la gestion de la retraite. Comme elles s'entremêlent, un bon logiciel de planification de retraite doit les distinguer et en tenir compte correctement. 9
En fait, le coût de vie représente les sommes qui sortent du patrimoine du client. Il ne s'agit pas des sommes qui entrent dans le patrimoine (les revenus). L'erreur de base de ceux qui utilisent la règle de 70 % est de fonctionner à l'envers. Ils se basent sur ce qui entre annuellement (les revenus) pour établir ce que l'on peut sortir chaque année. Cette approche trop naïve est inexacte dans la plupart des contextes. Reprenons quelques exemples déjà soulevés.
Nous suggérons souvent aux clients d'attendre avant de réclamer leur rente de la RRQ. Si la rente commence à 67 ans au lieu de 60 ans, cela signifie-t-il que la personne dépensera moins à 60 ans et plus à 67 ans? Absolument pas. Financièrement, la décision liée à la date où la rente commencera à entrer dans le patrimoine est une question de placement et n'aura aucun lien avec ce qui va sortir du patrimoine. À 60 ans, il suffira d'utiliser d'autres sommes du patrimoine pour faire face au coût de vie (REÉR, CÉLI, etc.). À 67 ans, le coût de vie demeurera le même malgré l'arrivée de la rente.
Avant 72 ans, il est possible d'utiliser davantage l'argent des placements non enregistrés ou du CÉLI pour le coût de vie. À compter de 72 ans, le coût de vie restera le même, mais les retraits du REÉR seront plus substantiels. Le revenu imposable aussi sera probablement plus important. Avant ou après 72 ans, le coût de vie restera le même, mais les revenus avant impôts seront bien différents. Il n'est donc pas pertinent de baser le coût de vie futur sur les revenus avant impôt.
Comme le montre l'exemple ci-dessus, il peut entrer 2 000 $ de gain en capital dans le patrimoine par suite d'un encaissement lié à une vente de placement. Pourtant, il sera possible d'utiliser les 10 000 $ encaissés complètement, partiellement ou pas du tout pour le coût de vie. Les revenus et le coût de vie sont deux choses complètement différentes. Le même principe s'applique à la vente d'un chalet ou d'une voiture supplémentaire ou à l'encaissement d'un héritage.
En travaillant efficacement avec ces six notions et l'ensemble des nuances applicables au contexte du client, il est possible d'établir correctement le coût de vie à prévoir pour la retraite. Par contre, une planification de retraite basée sur la notion de revenu (ou pire encore, de revenu avant impôt) est vouée à l'échec.
4. D'OU VIENT LA REGLE DE 70 %?
La règle de 70 % provient d'une combinaison de deux sources :
Les personnes qui travaillent 35 ans et bénéficient d'un régime de retraite à prestations déterminées (comme ceux des employés de nos gouvernements), qui garantit une rente à vie donnant droit à 2 % par année de service, auront à la retraite un revenu avant impôt égal à 70 % du revenu de salaire perçu juste avant la retraite (approximativement). Faut-il viser cet objectif? Pourquoi? Sauf pour les célibataires sans obligation familiale, les retraités disposeront pour eux d'un revenu à la retraite plus élevé qu'avant la retraite (en supposant que les enfants auront quitté le nid, qu'il n'y aura plus de prêt hypothécaire et que peut-être une seule voiture sera nécessaire), ce qui n'est pas forcément ce qu'ils souhaitent. Rares sont les personnes qui souhaitent un coût de vie plus élevé à la retraite que durant la période active. Ainsi, rien n'oblige un travailleur à travailler pendant 35 ans si cela ne cadre pas avec ses objectifs. Voilà donc l'origine de la règle de 70 % qui, en soi, n'a aucune substance pour le reste de la population ni même pour les gens qui bénéficient de ces régimes. Le mode de calcul d'une rente de retraite n'a pas forcément de lien avec le train de vie que les gens veulent préserver à la retraite. En plus de ce régime de retraite, il faut souligner que le patrimoine du client peut comporter bon nombre d'autres aspects à considérer qui rendraient la règle de 70 % encore moins pertinente.
Ce ratio se fonde aussi sur les hypothèses suivantes : à la retraite, pour les salariés, il n'est pas nécessaire de payer les diverses cotisations sociales (Assurance-emploi, Régie des rentes du Québec, Régime québécois d'assurance parentale, etc.), il n'est plus nécessaire d'épargner et, par conséquent, le revenu net disponible avec une revenu avant impôt égal à 70 % du revenu avant impôt avant la retraite correspond approximativement au revenu net disponible avant la retraite. Le calcul suppose aussi que le taux d'impôt marginal à la retraite sera moindre, ce qui est loin d'être certain. Ce calcul très aléatoire n'a, de toute façon, rien à voir avec le coût de vie que l'on veut préserver à la retraite. De plus, il s'applique uniquement aux salariés. Toutes les autres faiblesses déjà notées précédemment restent les mêmes.
Nous le soulignons : en soi, ce n'est pas le taux de 70 % qui est problématique. Les mêmes faiblesses s’appliqueraient à un ratio de 60 % ou de 75 %. Toute l'approche est mauvaise, même pour des cas simples.
5. AUTRES FACTEURS
Le présent texte aborde uniquement la question du coût de vie. Il faut évidement considérer d'autres facteurs dans une planification de retraite.
L'âge de la retraite : avec le coût de vie, ce facteur est celui qui a le plus d'incidences sur les calculs. Une retraite à 55 ans et une retraite à 70 ans constituent deux mondes complètement différents.
Le taux d'inflation prévu
Les taux de rendement prévus sur les placements et les véhicules en cause (REÉR, CÉLI, FERR, CRI, société de gestion, compte personnel non enregistré, immeubles, etc.)
L'âge de décès prévu ou la gestion du risque de longévité, en ne tenant pas forcément compte des statistiques liées à l'espérance de vie car ces dernières tiennent compte de la loi des grands nombres alors qu'il n'y a qu'un seul client concerné dans le dossier. Ce dernier peut mourir demain ou à 100 ans.
L'épargne prévue d'ici la retraite (sous diverses formes), qui sera souvent variable dans le temps et croissante à mesure que l'âge et les revenus augmentent. Combien épargner à chaque année ? Ce sont les calculs qui vont indiquer si le plan d'épargne est réaliste (selon les objectifs, le contexte familial et les mille nuances soulevées dans ce texte.). Pour les jeunes qui peuvent commencer à épargner (avec la nuance du paragraphe intitulé Épargner tôt, ici bas) et qui ne veulent pas faire de calculs, tous les chiffres peuvent être bons ! Vouloir faire une démarche sans respecter les règles de l'art implique un niveau d'incertitude qu'ils doivent eux-mêmes assumer. Tôt ou tard, il faut faire des calculs.
La fiscalité et les programmes sociaux (un vaste sujet)
Le calcul du coût de vie lui-même comporte certaines complexités s'il est question de thème ayant des incidences à long terme (sur plusieurs années). Les voitures et les réparations majeures à la maison sont les deux principales sources de difficulté. L'équipement informatique et l'ameublement, dans une moindre mesure, doivent aussi être considérés. Les frais de santé peuvent aussi causer un problème. Il faut s'efforcer d'estimer la dépense annuelle moyenne liée à ces postes du coût de vie.
Bon nombre d'autres facteurs sont à considérer : la vente éventuelle de la maison ou du chalet, un héritage possible, les régimes de retraite, la vente d'une entreprise, les revenus liés à l'immobilier, l'encaissement d'une assurance vie ou de sa valeur de rachat, le remboursement de primes à prévoir lié à une assurance invalidité, les voitures, les œuvres d'art, etc.
Le présent texte n'a pas pour objet de traiter en profondeur tous ces sujets, mais il est clair qu'il faut en tenir compte dans une planification de la retraite sérieuse.
Nous tenons quand même à souligner cinq sujets qui n'ont pas forcément de lien direct avec le présent texte, mais dont on entend souvent parler dans l'actualité financière. Nous développerons ces sujets dans d'autres textes à venir :
Le retrait FERR : Récemment, le gouvernement fédéral a diminué les montants minimums qu'il faut retirer des FERR à compter de 72 ans. L'écart est important : par exemple, à 72 ans, le pourcentage passe de 7,38 % à 5,28 % du solde des placements. Depuis ce temps, plusieurs textes ont traité du taux exact à utiliser et de celui qui permet apparemment de maintenir ou pas le coût de vie à la retraite. Nous ne mettons pas en doute l'exactitude de ces calculs qui ont été effectués par des gens compétents, mais à notre avis, ils présupposent une approche trop limitative de la planification de la retraite. Ces calculs s'appliquent seulement à ceux qui n'ont rien d'autre qu'un FERR et des rentes gouvernementales. Ils supposent que le coût de vie se limite aux retraits du FERR alors que souvent, il n'en est rien. Pour plusieurs personnes, la décision liée au retrait du FERR est plus une question de gestion efficace du patrimoine qu'une façon de gérer le coût de vie. On peut retirer des sommes différentes à différents moments pour optimiser la situation du client, sans lien avec les limites annuelles, et tout cela avec le même cout de vie. La presque totalité des nuances soulevées dans ce texte sur la fiscalité et sur les différences entre les six notions ainsi que tous les liens inappropriés établis entre le revenu et le coût de vie s'appliquent à ce thème. Nous pouvons toutefois dire que les clients fortunés profiteront largement de cette mesure et qu'il s'agit davantage d'une question de politique fiscale que d'une question liée à la retraite des gens.
L'indépendance financière versus la retraite : Quelques articles ont paru récemment sur la prétendue différence entre la planification de l'autonomie financière et la planification de la retraite. La définition de l'autonomie financière reposerait sur le niveau de patrimoine qui permet d'arrêter de travailler tout en maintenant un coût de vie souhaité. L'objectif serait d'avoir la liberté d'arrêter ou non de travailler. Apparemment, la planification de la retraite serait ennuyeuse et réservée aux gens frustrés, tandis que prévoir l'autonomie financière constitue davantage l'apanage des gens heureux qui aiment leur travail. Des exemples sont donnés de gens qui ont un coût de vie minimal ou qui ont eu un gain extraordinaire (grâce aux sociétés de tabac, se vante-t-on). En fait, il n'y a aucune différence entre les deux notions. Nous avons toujours défini la retraite de cette façon. Nous ne savons pas d'où provient cette différence. Nous n'avons jamais rencontré de clients qui comptent s'asseoir devant la télé tout au long de leur retraite. En général, les gens ont des projets et veulent atteindre un niveau où ils pourront arrêter de travailler s'ils le souhaitent. Certains voudront conserver un coût de vie élevé, quitte à atteindre ce niveau plus tard, tandis que d'autres feront preuve d'une plus grande frugalité dans leurs dépenses pour accélérer le moment où ils auront la liberté de changer de vie. Bref, il ne faut pas chercher de différence entre ces deux notions, et les moyens pour atteindre cet objectif ainsi que les calculs qu'ils impliquent sont les mêmes.
Les actifs nécessaires à la retraite : Une demande fréquente consiste à établir le montant de placement qu'il faut détenir pour pouvoir atteindre tel ou tel niveau de coût de vie à la retraite. Cette façon de voir les choses n'est pas la bonne. Ici encore, toutes les nuances indiquées dans ce texte restent pertinentes.
o Un montant de 100 000 $ n'a pas la même valeur dans un REÉR, dans un CÉLI, dans une société de gestion ou dans un compte personnel non enregistré. Trop de nuances fiscales s'appliquent pour pouvoir déterminer un chiffre d'actif sans savoir où les montants sont investis.
o L'inflation et le jeu de l'illusion de la valeur de l'argent dans le temps font en sorte que les montants sembleront astronomiques. L'utilisation de cette méthode n'est pas constructive.
o Il y a trop de variables pour fixer un chiffre applicable à tout sans nuances : l'âge de la retraite, la présence d'une rente de retraite d'un employeur ou pas, la présence d'autres actifs personnels (immobiliers ou autres), etc.
o Il faut plutôt établir le coût de vie souhaité et faire des scénarios afin de voir ce qui est réaliste.
L'âge de la retraite et les rentes : Les gouvernements proposent parfois de retarder l'âge auquel certaines rentes commenceront à être versées (ou l'âge à partir duquel il n'y a plus de pénalité pour une demande hâtive). Il peut s'agir de la pension de sécurité du revenu (PSV) ou la rente de la RRQ. On dit alors que les gouvernements retardent l'âge de la retraite. Pourtant il n'y a pas forcément de lien entre le début de l'encaissement d'une rente et l'âge de la retraite (sauf peut-être pour les personnes moins bien nanties). La retraite peut être avant ou même après le début de l'encaissement de la rente. Il suffit de tenir compte de cette nuance dans les calculs. L'exemple lié à la demande de la rente de la RRQ à 60 ou 67 ans que nous avons soulevé à deux reprises dans ce texte est un bon exemple indiquant l'absence de lien direct entre ces deux variables.
Épargner tôt : Plusieurs calculs montrent qu'il est avantageux de commencer à épargner tôt. La magie des intérêts composés aurait des effets incroyables sur la planification de retraite. Techniquement, il est vrai qu'en commençant à épargner à 15 ans au lieu de 30, la planification de la retraite sera plus aisée. Toutefois, les textes omettent souvent l'aspect humain et les préoccupations différentes que l'on a à des âges différents. Les jeunes devraient davantage chercher à améliorer leur capacité de gagner de l'argent dans le futur au lieu de mettre 1 000 $ dans leur REÉR. Il faut investir dans la compétence d'abord (études, création d'une entreprise, voir du pays, etc.). De même, les premières étapes de la vie d'adulte sont importantes et impliquent davantage de coûts que d'épargnes. Les années où la famille est en « mode bébé » ou lorsqu'elle commence à s'établir dans un lieu nécessitent plus de dépenses que d'épargnes. Il faut épargner pour la retraite, mais il faut avant tout vivre aujourd'hui. L'équilibre ne signifie pas qu'il faille épargner tout le temps, au même rythme. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans le piège de la surconsommation et ainsi ne jamais commencer de plan d'épargne réaliste.
6. CONCLUSION
La règle de 70 % est mauvaise à tous points de vue, et la seule option raisonnable est de l'éviter complètement. Certains admettent qu'elle a ses défauts, mais qu'elle peut servir de guide pour certaines personnes. Nous croyons qu'elle a autant de valeur que la hauteur de la marée ou l'âge du capitaine du bateau passant devant vous. Cette règle est inutile et même nuisible, autant pour les jeunes ou les plus âgés, les riches ou les pauvres, les gens dont la situation est simple ou plus complexe. Bien sûr nous aimerions dire qu'elle est simple et qu'elle pourrait sauver du temps. L’utilisation de la hauteur de la marée est simple aussi, pourtant personne ne voudrait utiliser cette variable. La règle de 70 % n'a pas plus de valeur. Sa base est mauvaise en soi et omet tous les facteurs fondamentaux liés à la planification de retraite. Nous faisons chaque semaine de nombreuses planifications de retraite, et nous n'en tenons jamais compte, quelle que soit la situation du client. Nous trouvons dommage que cette règle soit présente sur les sites Internet destinés au grand public comme celui de la RRQ. Cela nourrit la désinformation et évite que les gens entreprennent un vrai processus de planification de retraite basé sur des notions pertinentes. Les commentaires des participants au forum que l'on peut lire sur ces sites ne font que prouver que cette règle entraine plus de confusion que de bénéfice.
Dans un contexte où les aspects humains sont déterminants, combiné à un monde financier et fiscal d'une complexité magistrale, il ne faut pas croire qu'il suffit d'une règle simpliste pour planifier son avenir, même dans des situations simples en apparence.
Source d'information Brassard, Goulet et Yergeau Services Financiers intégrés